A la suite de l’acquisition d’un appartement, l’acquéreur, contestant la surface du bien vendu, assigna le vendeur en réduction du prix de vente et en remboursement de frais accessoires.
Il produisit à l’appui de ses demandes, deux certificats de mesurage loi Carrez réalisé par un diagnostiqueur et par un géomètre expert venant attester de l’erreur figurant dans l’acte notarié (20, 74 m² contractuellement prévu contre 18, 55 m² et 18, 60m² aux termes des deux certificats de mesurage établis après la vente).
Le vendeur contestait leur teneur au motif que ces rapports avait été réalisés hors sa présence et donc de manière non contradictoire.
Pourtant versés aux débats et soumis à la libre discussion des parties, la Cour d’Appel de Toulouse rejeta les demandes aux motifs qu’elle ne pouvait se fonder sur une mesure d’instruction amiable réalisée non contradictoirement qui avait été effectuée à la demande d’une seule des parties.
L’arrêt est cassé au visa de l’article 16 du Code de procédure civile, lequel dispose que :
“Le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction.
Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
Il ne peut fonder sa décision sur les moyens de droit qu'il a relevés d'office sans avoir au préalable invité les parties à présenter leurs observations”
La Cour de Cassation juge en effet que le juge du fond ne peut refuser d’examiner un rapport établi unilatéralement à la demande d’une seule partie dès lors qu'il est :
- régulièrement versé aux débats ;
- soumis à la discussion contradictoire des parties ;
- corroboré par d’autres éléments de preuve.
La circonstance que ces rapports aient été fait hors la présence de l’autre partie et sans qu’elle soit invitée à y participer est sans incidence sur l’obligation pour le juge du fond de les examiner.
C’est d’ailleurs ce que retient la Cour de cassation pour d’autres actes techniques établis unilatéralement, qui, sous réserve d’être soumis à la libre discussion des parties, sont des preuves recevables :
- les constats d’huissier (usuels en matière immobilière, Cass. 9 octobre 2012, 1ère civ. n°11-20.172) ;
- les rapports d’expertise amiable établis non contradictoirement (en matière de vente automobile par exemple, Cass. 24 septembre 2002, n°01-10.739).
A quelques semaines d’intervalle, un arrêt fut rendu par la Première chambre civile de la Cour de cassation : elle censura la Cour d’Appel de Poitiers pour s’être fondée exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties “peu important qu’elle l’ait été en présence de l’autre partie” (Cass. 1ère chambre civile, 12 février 2020 n°18-26.249 : l’expertise non judiciaire portée sur l’évaluation immobilière d’un bien commun d'époux à l’occasion de leur divorce).
Cette apparente contradiction de position entres les première et troisième chambres civiles n’en est pas une... Si le juge du fond ne peut refuser d’examiner un avis technique établi unilatéralement, versé régulièrement aux débats et soumis à la discussion, il ne peut se fonder exclusivement sur une telle pièce (Cass. chambre mixte, 28 septembre 2012, n°11-18.710 s’agissant d’une expertise non judiciaire réalisée à la demande d’une partie, laquelle fondait exclusivement ses prétentions sur ce rapport).
A retenir :
→ Les avis techniques établis unilatéralement sont des preuves recevables dès lors qu’ils sont soumis à la libre discussion des parties.
→ Le juge du fond doit examiner ces avis techniques sans pouvoir les écarter au seul motif qu’ils auraient été établis unilatéralement, hors la présence de l’autre partie.
→ Le juge du fond ne pourra se fonder exclusivement sur un avis technique établi unilatéralement.
Ainsi, à défaut de pouvoir fournir un rapport d’expertise contradictoire (à l’instar d’un rapport d'expertise judiciaire), il conviendra de produire divers pièces et avis techniques permettant de corroborer ses dires. A titre d’illustrations, en matière de contentieux de la construction, il conviendra de produire, a minima, un constat d’huissier identifiant les désordres, l’avis d’un conseiller technique compétent dans le domaine concerné sur les causes des désordres ainsi qu’un descriptif et un chiffrage des travaux de reprise des désordres requis.
Arrêt Commenté : Cour de Cassation, 3ème chambre civile, 5 mars 2020, n°19-13.509).
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