Le principe jurisprudentiel relatif au délai raisonnable au-delà duquel le destinataire d'une décision ne peut exercer de recours juridictionnel (Conseil d'État, Assemblée, 13 juillet 2016, Czabaj, n°387763) est applicable à la contestation du rejet implicite d'un recours gracieux.
Suivant un arrêt du 8 février 2019 de la Cour administrative d'appel de Bordeaux (n°16BX02465), la Société Château Chéri obtint l'annulation d'une part, de la décision du 2 juillet 2012 par laquelle le Préfet de la Gironde l'a déchue de ses droits attribués par un contrat d'agriculture durable, ensemble le rejet de recours gracieux et d'autre part, la décision du 7 juillet 2014 par laquelle le Préfet a confirmé la décision prise le 2 juillet 2012.
Le ministre de l'agriculture et de l'alimentation s'est pourvu en cassation contre l'arrêt précité. Son unique moyen était que la Cour administrative d'appel aurait méconnu son office en n'opposant pas d'office à la requête de la société Château Chéri une irrecevabilité pour tardiveté de sa requête : "découlant de ce que, présentée le 6 septembre 2014, elle avait formée plus d'un après le 13 juillet 2012, date à laquelle, compte tenu du recours gracieux qu'elle avait formé, la société devait être réputée avoir eu connaissance de la décision du 2 juillet 2012".
Après avoir rappelé les principes suivants (considérant 3) :
Un recours gracieux est une demande adressée à l'administration au sens de l'article L.110-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
Toute demande adressée à l'administration doit fait l'objet d'un accusé de réception ;
Sauf disposition particulière, le silence gardé pendant plus de deux mois par l'administration sur une réclamation (ce qu'est un recours gracieux) vaut décision implicite de rejet ;
L'accusé de réception doit comporter plusieurs mentions et notamment (i) il indique si la demande est susceptible de faire l'objet d'une décision implicite de rejet et dans la positive (ii) il doit mentionner les voies et délais de recours à l'encontre de la décision implicite de rejet susceptible de naître du silence gardé par l'administration (R.112-5 du CRPA) ;
La sanction du non-respect des principes susmentionnés est, en principe, l'inopposabilité au destinataire de décision implicite de rejet des délais de recours contentieux ;
Néanmoins, et en vertu du principe de sécurité juridique, il n'est pas acceptable qu'une décision administrative individuelle notifiée à son destinataire puisse être remise en cause indéfiniment. C'est la raison pour laquelle, le Conseil d'Etat a fixé un délai raisonnable au terme duquel, le destinataire de la décision ne peut plus exercer de recours juridictionnel contre la décision qui lui a été notifiée (cf. arrêt Czabaj précité).
le Conseil d'Etat rejeta le pourvoi.
Cet arrêt est l'occasion de préciser le champ d'application de la jurisprudence Czabaj et d'un exemple concernant le point de départ de ce délai raisonnable, fixé, en principe, à un an à compter "de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance".
Au considérant 4 de l'arrêt, le Conseil d'Etat affirme que les règles susmentionnées sont applicables à la contestation d'une décision implicite de rejet née du silence gardé par l'administration sur un recours gracieux présenté devant elle.
Au cas présent, la société Château Chéri a formé, le 13 juillet 2012, un recours gracieux contre la décision du 2 juillet 2012 prononçant la déchéance de ses droits. Néanmoins, son recours gracieux ne fut pas suivi d'un accusé de réception de sorte que la société ne fut pas informée des conditions de naissance d'une décision implicite et des modalités de sa contestation éventuelle.
Si le délai de recours de deux mois n'était donc pas opposable à la société Château Chéri, le délai raisonnable d'un an issu de la jurisprudence Czabaj trouvait à s'appliquer.
C'est sur le point de départ de ce délai de forclusion que le Conseil d'Etat va rejeter l'argumentation du ministre : la décision de rejet étant implicite, la date à laquelle la société Château Chéri peut être considérée comme en ayant eu connaissance ne saurait être la date dudit recours gracieux.
En effet, le ministre de l'agriculture et de l'alimentation prenait pour point de départ, la date d'introduction du recours gracieux, soit le 13 juillet 2012 de sorte que la requête présentée le 6 septembre 2014 devant le Tribunal administratif devait être jugée, selon lui, comme tardive.
Le Conseil d'Etat va ainsi juger que la société Château Chéri a eu connaissance du rejet de son recours gracieux, au plus tôt, le 7 juillet 2014, date à laquelle le Préfet a confirmé sa décision du 2 juillet 2012.
Partant, le délai raisonnable d'un an ayant commencé à courir le 7 juillet 2014, la requête du 6 septembre 2014 était recevable.
A RETENIR :
De quel délai dispose le destinataire d'une décision administrative individuelle pour saisir le Tribunal administratif quand il n’a pas été accusé réception de son recours gracieux ?
- Délai raisonnable d'un an à compter de sa connaissance de la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;
- La date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance - point de départ du délai raisonnable d'un an - doit être recherchée dans les échanges postérieurs avec l'administration.
Arrêt Commenté : Conseil d'Etat, 3ème et 8ème chambres réunies, 12 octobre 2020, n°429185.
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